Qualifier une paire de lunettes en plastique est un abus de langage. Et déterminer une matière écologique d’une monture est un long débat souvent composé d’apriori et de fausses idées.

La charte du label Optic for Good laisse une grande place à la matière des lunettes ainsi qu’à sa traçabilité. Il est normal d’approfondir ce débat et d’apporter de réels arguments.

Alors, à force de lire et d’entendre tout et n’importe quoi, voici des réponses récoltées auprès d’interviews de scientifiques.

Entretien avec...

Les propos qui vont suivre ont été recueillis lors d’une conversation téléphonique en aout 2020, avec le Pr Jean-François Gérard. Nous avons abordé très simplement tout ce qu’il est nécessaire de connaître sur la fabrication d’une matière plastique et les subtilités de leur fabrication.

Pr Jean-François GÉRARD

Professeur INSA Lyon / directeur-adjoint CNRS

En tant que scientifique, le Pr Jean-François Gérard voit passer des choses pas très justes, notamment celles largement rapportées dans la presse… Je suis bien d’accord avec lui. Mais mon simple diplôme d’opticienne ne me permettait pas de l’affirmer aussi surement. Par ailleurs, lors de notre conversation téléphonique, il vulgarisait tellement bien la chimie des polymères, que le plastique n’a plus alors eu aucun secret pour moi.

Ainsi, comme tellement de choses sont dites sur le plastique ou plutôt ce que l’on doit nommer plus justement « polymère », il est temps de faire une mise au point sur ce qui existe… toujours avec cette idée que nous abordons le sujet sous l’angle de la filière lunetière.

Le plastique : un matériau tellement versatile !

Quand on s’intéresse aux nouvelles familles de plastiques dits biosourcés, c’est-à-dire issus de ressources renouvelables comme la biomasse, on peut regrouper les polymères en 4 catégories  :

Le polymère biosourcé de substitution

Il s’agit de polymères similaires à ceux existants issus de la pétrochimie que l’industrie va « verdir ». En effet, pour de tels polymères, des monomères issus de la pétrochimie seront substitués par les mêmes monomères, mais issus de la biomasse, créant la même structure moléculaire et sans valeur supplémentaire.

Exemple : Le polyéthylène est issu de la pétrochimie. Aujourd’hui, il existe son polymère de substitution : le GreenPE, issu de la polymérisation de l’éthylène, lui-même issu de l’éthanol préparé par fermentation à partie de canne à sucre.

Les nouveaux polymères

De nouveaux polymères, c’est-à-dire présentant de nouvelles structures moléculaires, non existantes à partir de la pétrochimie et issues de composés de la biomasse, peuvent être préparés.

Potentiellement, de tels polymères peuvent se substituer à ceux issus de la pétrochimie.

 

Exemple : Le PLA est un nouveau polymère issu de l’acide lactique préparé à partir de l’amidon de maïs qui peut se substituer au PET pour des applications textiles ou emballages (bouteilles).

Le polymère de substitution partiel

La nuance est subtile mais intéressante à connaître. Car ici ce sont des polymères qui substitueront partiellement les polymères pétrosourcés.

Plus techniquement, ce type de polymère est partiellement substitué puisqu’il inclue une brique biosourcée pouvant introduire une ou plusieurs propriété(s) supplémentaire(s) par rapport à sa version pétrosourcée.

Exemple : Les polyamides qui sont généralement constitués deux composés (monomères). Un des deux ou les deux peuvent alors être biosourcés conduisant à des polymères partiellement biosourcés (on dosera alors, comme les objets archéologiques le carbone 14, permettant de distinguer carbone renouvelable du carbone non-renouvelable.)

Le polymère issu de la biomasse

Ce sont alors des polymères qui existent déjà à l’état naturel comme les polysaccharides (la cellulose, l’agar-agar, etc), les protéines, etc.

Le scientifique « bricole » alors un peu ceux-ci pour les rendre aptes à répondre aux cahiers des charges des matériaux recherchés (moins sensible à l’eau, pouvoir les transformer sous forme de films, etc).

Exemple : la cellulose. Ce polymère existe dans la nature au sein du bois ou des fibres de coton. En la modifiant, on fabrique alors l’acétate de cellulose qui est utilisé comme filtres des cigarettes les balles de ping-pong et les lunettes.

Aller au-delà des idées simples

L'empreinte environnementale

Après avoir identifié ces catégories et compris leurs subtilités, l’enjeu d’une matière plastique prenant en compte leur empreinte écologique est :

  • d’analyser, dans chaque cas, le cycle de vie de l’objet créé avec le polymère concerné en prenant en compte un périmètre d’analyse le plus pertinent
  • et de prendre en compte, dans cette empreinte environnementale, des solutions polymères biosourcées, les processus d’extraction des molécules d’intérêt et des étapes de fabrication spécifiques.

Nous connaissons tous l’impact environnementale des raffineries pour la pétrochimie, mais connait-on réellement l’impact des bio-raffinerie?

Aussi, il serait dorénavant intéressant d’intégrer une approche globale ou complète pour de tels matériaux biosourcés. Comme de la plante à la fin de vie de l’objet en prenant en compte coûts énergétiques, rejets dans les milieux naturels, etc.

Nous pourrions sûrement être surpris du résultat avec une empreinte de fabrication plus importante que celle de son utilisation et de sa fin de vie. Surtout pour certaines des solutions revendiquées comme plus vertes ou moins impactantes pour l’environnement …

Car rappelons-le, aujourd’hui, toutes ces solutions mettent en avant l’impact environnemental post-polymère et sa durée de vie. Mais les étapes de génération des matériaux et leur mise en forme comme objets de consommation doivent être prises en compte.

Pour être plus concrets, prenons l’exemple du cycle de vie du célèbre PET. Il est utilisé entre autre pour :

  • le packaging (durée de vie = quelques jours),
  • un vêtement de type polaire (durée de vie = 2 ans)
  • une pièce automobile (durée de vie = 6 ans)

La fabrication du PET aura-t-il le même impact si on l’utilise 2 seconde ou durant 6ans?… Pour une même matière, nous pouvons envisager que l’empreinte du PET peut être négligeable par rapport au cycle de vie d’utilisation.

Nous pouvons commencer à nous poser la question de l’importance d’une mutualisation du travail ou la réflexion de l’utilité d’une matière sur un produit. Et ainsi économiser les frais environnementaux.

C’est l’objectivité d’analyse + d’arbitrage industriel apportée dans l’analyse du cycle de vie qui doit apporter des éléments aux décideurs. Et aussi cela doit devenir une approche normalisée !

(attention, j’aurai pu utiliser l’exemple du PLA ou une matière encore plus vertueuse mais ici le débat n’est pas la virtuosité de la matière mais l’impact de sa création)

L'utilisation impose la formulation

Le Pr Gérard attire mon attention sur une subtilité dont la pertinence écologique dépend : prendre en compte le fait que tout matériau utilisé est formulé.

Jusque là, nous avons abordé ensemble seulement les polymères eux-mêmes car son travail de scientifique est de créer ces polymères. Cependant, vient ensuite la vie du polymère et son utilisation pour un procédé de mise en œuvre et/ou une application donnée… Et là intervient le formulateur.

C’est là que la complexité apparait et elle est souvent opaque pour tous.

La formulation c’est le polymère avec de petits trucs, comme une recette de cuisine.

Ces petits trucs sont donc les secrets de fabrication d’une matière pour leur donner une propriété d’usage et pour la rendre unique. C’est le secret et le savoir-faire des formulateurs.

Le formulateur utilise en effet des additifs, dits de process, pour les étapes de mise en œuvre/forme ou pour prendre en compte l’utilisation des matériaux (par exemple tenue aux rayonnements UV du soleil). Ces additifs, qui ne seront pas forcément biosourcés, sont alors les mêmes pour tout le monde quelque soit le type de polymère (polymère biosourcé ou pétrosourcé).

Néanmoins, depuis peu, apparaissent des additifs eux-mêmes issus de la biomasse.

Plus techniquement : puisque la plupart du temps ces composés sont de type phénoliques, des espèces chimiques naturelles (comme les tanins ou des extraits de la lignine issus du bois) peuvent être considérées.

La matière écologique en lunetterie

Pour conclure, notre discussion a été enrichissante par le fait qu’elle pose les bases sur la fabrication des matières initiales. Et nous pouvons mieux comprendre que la nomination de lunettes en plastique est un non sens et qualifier une matière écologique.

Ainsi, on identifie bien 2 problématiques principales:

  1. Ce n’est pas si simple de qualifier une matière nouvelle dite « écologique » si l’étape formulation rend difficile une analyse complète du cycle de vie par rapport à des solutions conventionnelles.
  2. Dans tous les cas, il est intéressant de prendre en compte l’impact de l’empreinte environnementale liée à l’élaboration de la matière pour juger si un objet utilisé est « écologiquement » plus pertinent ou pas.

Toutes les étapes de génération de la matière et de fabrication des objets sont difficilement quantifiables aujourd’hui y compris dans l’industrie lunetière.

Le label Optic for Good prend en compte toutes ces données lors de l’audit des marques. Même s’il n’est pas facile à la marque d’obtenir ces informations, le travail fait en amont de chaque créateur sur le choix de la matière est pris en compte et vérifié. Cela permet d’identifier si une marque propose réellement des lunettes écoresponsables ou pas.

Prochain rendez-vous avec Claude Janin, scientifique au LRCCP.