Le secteur de l’optique-lunetterie se trouve à un tournant historique. À la croisée de la santé, de la mode et de l’innovation, il doit désormais répondre à des défis environnementaux, sociaux et économiques inédits.
Ces enjeux de l’optique-lunetterie concernent aussi bien la production que la distribution, la formation et la relation avec les consommateurs. Décarbonation, surproduction, réemploi, transparence… Autant de sujets qui ne peuvent plus être ignorés si nous voulons assurer un avenir durable à notre industrie et à notre métier d’opticien.
Je vous partage une dernière fois ma vision du secteur. Durant 10 ans, j’ai défendu ces idées… Mon entreprise a été liquidée et j’espère que ces enjeux de l’optique-lunetterie seront enfin pris en considération dans les prochaines années.
Les grands enjeux de l’optique-lunetterie à horizon 2030
1. Décarboner l’industrie de la lunetterie
La fabrication des lunettes entraîne une empreinte carbone importante : extraction et transformation des matériaux, transport international, consommation énergétique des ateliers et usines.
👉 Mais attention : il n’est pas possible d’affirmer qu’un produit ou un service a moins d’impact sur l’environnement sans mesure d’impact réelle.
Cette mesure doit apparaître clairement dans tout argumentaire, sous peine de tomber dans le greenwashing. En France, la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) est vigilante sur ces allégations environnementales.
La priorité sera de réduire les émissions en :
adoptant les énergies renouvelables,
relocalisant une partie de la production,
optimisant les chaînes logistiques,
généralisant l’ACV (Analyse de Cycle de Vie) pour mesurer et réduire l’impact réel des collections.
Article de blog utile à lire : Décarboner son industrie : qu’est-ce que cela veut dire ?
2. S’adapter à un monde à +50 °C
Selon les projections du GIEC, travailler dans des conditions extrêmes pourrait devenir une réalité d’ici 2050.
L’enjeu ne se situe pas uniquement dans la continuité de production, mais surtout dans le bien-être et la santé des travailleurs. Comme l’explique Christian Clot dans ses recherches, au-dessus de 32 °C de température humide, nos capacités cognitives et physiques chutent fortement, réduisant notre efficacité et augmentant les risques pour la santé.
👉 Adapter les conditions de travail sera donc une nécessité pour maintenir la performance et la sécurité au sein des entreprises lunetières.
3. Développer le réemploi et la circularité
Le recyclage a longtemps été perçu comme la solution miracle. Pourtant, il reste imparfait et entraîne des pertes (notamment la dispersion de microplastiques).
L’avenir est dans le réemploi et la circularité :
réutiliser les montures,
développer la réparation et le reconditionnement,
créer des filières de collecte structurées,
favoriser la redistribution des équipements encore utilisables.
Néanmoins, la priorité doit être la réutilisation de montures durables et de qualité, capables de résister au temps et aux usages. Car réemployer des produits bas de gamme n’a pas de sens et ne fait que prolonger artificiellement leur fin de vie.
De plus, attention : si l’on continue de produire trop, tout ne pourra pas être réemployé. Le surplus finit souvent en CSR (combustible solide de récupération), une fausse solution écologique.
Vu sur le blog de RecyclOptics : Recyclage des lunettes en France : enjeux et état des lieux
Article de blog utile à lire : Que deviennent vos lunettes usagées ?… Vers une économie circulaire dans l’optique.
4. Mieux gérer les flux de production et les surstocks
Aujourd’hui, des millions de montures produites ne trouvent pas preneur et finissent en “stock mort”.
Chaque année, environ 25 millions de lunettes sont vendues en France… mais combien restent dans les entrepôts, invendues, détruites ou recyclées faute de clients ? L’industrie a longtemps fermé les yeux sur cette réalité.
L’avenir devra passer par :
la fabrication à la demande,
des séries limitées,
des prévisions de ventes basées sur des données fiables,
une remise en question de la surenchère des collections.
👉 Réduire la production, c’est réduire l’impact global.
5. Mesurer et prouver son impact réel
Les belles promesses ne suffisent plus. Les marques comme les distributeurs devront mesurer concrètement leurs impacts :
empreinte carbone vérifiée,
ACV réalisée par des organismes tiers,
publication de rapports d’impact accessibles au public,
intégration de ces données dans la communication client.
Certaines avancées dans d’autres secteurs de la santé, et le pas énorme de l’Assurance Maladie, montrent que des indicateurs fiables changent profondément les pratiques. L’optique doit suivre le mouvement.
Le Shift Project, par exemple, a publié un plan de bataille pour la décarbonation du secteur de la santé notamment de l’optique-lunetterie. Ce type de travail pourrait servir de modèle pour la filière lunetière, afin d’établir une trajectoire claire et chiffrée.
👉 Empreinte carbone, ACV tierce partie, rapports d’impact publics : ce sont des conditions indispensables pour restaurer la confiance.
Voici le rapport public de la décarbonation des dispositifs médicaux du Shift Project
6. En finir avec le greenwashing et la sémantique trompeuse
Montures dites « bio », acétates annoncés comme « biodégradables », discours RSE flous… Ces pratiques de greenwashing fragilisent la confiance des opticiens et des consommateurs.
Demain, il faudra adopter un langage clair et aligné sur la réalité scientifique et réglementaire :
bannir les termes trompeurs,
expliquer les limites des matériaux,
valoriser les progrès réels sans exagération.
👉 La sémantique éthique sera un enjeu central pour éviter de transformer l’écoresponsabilité en simple argument marketing.
Thème abordé durant le COLD 2024 avec l’ADEME : COLD 2024- Arrêtons tout greenwashing
Article de blog utile à lire : Le gros enfumage du Bio dans les lunettes – déconstruire les idées reçues
7. Assurer la traçabilité et la transparence des composants
Additifs chimiques, PFAS, origines opaques… La filière lunetterie manque encore cruellement de transparence.
Pour répondre aux attentes sociétales et réglementaires, il sera indispensable de :
garantir une traçabilité complète des matériaux,
utiliser des outils comme la blockchain ou les QR codes,
informer clairement les opticiens et les porteurs de lunettes.
En parlant de blockchain, une initiative a déjà commencé à émerger, mais elle n’est pas suffisamment soutenue par l’industrie pour se développer correctement. Pourtant, elles pourraient offrir une traçabilité complète des matériaux, de la fabrication à la distribution.
👉 L’appel est clair : faites un effort de cohésion. Sans transparence collective, impossible de bâtir une industrie crédible.
Article de blog utile à lire : Le scandale du PFAS : les lentilles de contact aussi concernées.
8. Former les opticiens à l’écoresponsabilité dès les études
Le rôle de l’opticien évolue : il ne se limite plus à la correction visuelle, mais inclut aussi des conseils sur la durabilité des équipements. Pourtant, dans la refonte actuelle du BTS Opticien-Lunetier, les enjeux environnementaux sont absents.
C’est un vrai risque pour la profession.
Sans formation adaptée, les futurs opticiens seront déconnectés des attentes sociétales et réglementaires.
Il faut :
intégrer l’ACV et la circularité au programme,
sensibiliser aux matériaux et à leur fin de vie,
enseigner la réparation, le réemploi et le conseil client en durabilité,
proposer de la formation continue pour les opticiens déjà installés.
Mais ce n’est pas suffisant : le parcours client doit aussi être réinventé. Avec la baisse probable des ventes d’équipements, les opticiens devront diversifier leurs services : suivi régulier de la vue, entretien et réparation des montures, conseils personnalisés en durabilité.
👉 Former et accompagner les opticiens est un enjeu de survie pour le métier.
Article de blog utile à lire : Manifeste pour un opticien dévendeur
En conclusion...

L’optique-lunetterie est face à un défi historique. Décarbonation, résilience climatique, circularité, gestion des flux, transparence, formation… Ces enjeux de l’optique-lunetterie détermineront la capacité du secteur à rester pertinent dans les prochaines décennies.
Les lunettes de demain ne seront pas seulement un outil de santé visuelle. Elles devront incarner une transition écologique et sociale, portée par des professionnels formés, responsables et engagés.
Ce dernier article est une trace de mon travail avec Optic for Good, mais aussi un appel à toutes celles et ceux qui voudront continuer ce chemin : l’avenir de l’optique durable est entre vos mains.