Lors du dernier salon du SILMO 2024, une annonce a fait grand bruit : Olivier Véran, ancien ministre de la Santé, rejoint le conseil d’administration de Lunettes Pour Tous pour aider l’enseigne à se développer au niveau européen, avec un objectif clair : proposer une offre de 100% santé accessible à tous.
En tant qu’entrepreneur, il est difficile de ne pas saluer cette initiative. Elle témoigne d’une ambition claire de croissance et de démocratisation de l’accès aux lunettes.
Cependant, derrière cette expansion se cachent des enjeux éthiques, sociaux et environnementaux majeurs qui méritent d’être questionnés. Car si cette nouvelle semble anodine, elle pourrait avoir des conséquences lourdes pour le secteur de l’optique, ainsi que pour la société dans son ensemble.
Un modèle éthique qui interroge
Lunettes Pour Tous propose des produits vendus à des prix très bas, souvent importés de l’autre bout du monde, et commercialisés par un personnel parfois non diplômé. La mission d’un opticien ne se limite pas à vendre une monture et deux verres (comme sous-entendu par Paul Morlet dans son interview dans le Forbes) ; il s’agit également d’apporter un service continu tout au long de la vie des lunettes. Or, dans ce modèle low-cost, cette dimension semble être sacrifiée au profit du volume de vente et des économies de masse.
Est-ce vraiment ce que nous attendons d’un opticien de santé ? La profession repose sur la qualification, la personnalisation du service et le suivi de qualité, ce qui semble de plus en plus absent dans ce modèle de consommation rapide et de réduction des coûts.
Une équité en trompe-l’œil
Le 100% santé, dans son essence, cherche à offrir un accès équitable aux soins optiques pour tous.
Mais à quel prix ?
Comme l’a dit la grand-mère de Gregory Richa, directeur associé chez OPEO : <<Je n’ai pas les moyens d’acheter bon marché.>>
Cette citation met en lumière une vérité simple mais percutante : acheter du low-cost est souvent synonyme de faible durabilité, entraînant des achats fréquents et finalement plus coûteux à long terme. C’est une illusion de justice sociale.
De plus, Julia Faure, co-fondatrice de l’entreprise de mode éthique Loom et co-présidente du Mouvement Impact France, souligne que << cette paupérisation de la société vient directement du low-cost >>. Elle explique que le low-cost, en délocalisant la production dans les années 90, a contribué à la fermeture d’usines en France, à la perte d’emplois, à la baisse des revenus fiscaux et à la réduction du financement des services publics. Le low-cost appauvrit les populations et affaiblit le tissu économique local, tout en prétendant améliorer l’accès aux biens essentiels.
Un impact environnemental sous-estimé
En termes environnementaux, l’importation massive de montures 100% santé depuis l’Asie pose également question.
À l’heure où les politiques encouragent la réduction des émissions carbone, l’industrie de l’optique semble prendre le chemin inverse en privilégiant les productions lointaines au détriment des circuits courts et des initiatives locales.
Certes, il y a une volonté de produire plus localement de la part de Mr Véran, mais aujourd’hui, est-il réellement possible de fabriquer en France des montures à un prix suffisamment bas pour respecter les critères du 100% santé ?
Nos standards de qualité, de durabilité et d’éthique rendent cette équation complexe car tiré vers le bas à cause d’une concurrence étrangère qui n’a pas les mêmes contraintes… Sans parler de l’impact sur l’emploi et l’économie locale.
Ce modèle va à l’encontre des principes de la loi Industrie verte et du Green Deal européen.
Justice sociale et environnementale : un duo indissociable
L’enjeu est donc de taille : allier la justice sociale à la justice environnementale.
Aujourd’hui, ces deux dimensions ne peuvent plus être dissociées. Ce qui était considéré comme distinct il y a une décennie est désormais indissociable.
Il est temps d’adopter une vision plus holistique de notre industrie, où l’accès équitable aux biens essentiels va de pair avec le respect de l’environnement et la pérennité des emplois locaux.
Alors, que choisirons-nous ?
- Un modèle low-cost qui promet des lunettes accessibles, mais au prix de notre éthique, de notre économie et de notre environnement,
- ou une approche plus responsable, durable et équitable ?